vendredi 5 octobre 2012

Le « scandale » de Quemoy

Note liminaire
En préparation du grand marchandage entre le Parti communiste chinois en phase de transition et le gouvernement du Japon sur la dispute du plateau continental de la Mer de Chine orientale, Royal-Artillerie prolonge sa présentation des îles Senkaku de plusieurs billets analysant des points particuliers d'échauffement. Nous commençons par les îles continentales de la République de Chine (Taïwan) incrustées dans les eaux territoriales de la province du Fujian.

En Mer de Chine orientale, on ne parle que de la guerre médiatique sino-japonaise. Après avoir inculqué aux gens que les îles Senkaku étaient chinoises sous le nom Diaoyu depuis des temps immémoriaux, même si aucun chinois ne les a jamais habitées à l'inverse de ce que firent les Japonais ; après avoir déposé aux Nations Unies des cartes marines de souveraineté ; le pouvoir chinois continental montre à son peuple son incapacité à faire respecter sa souveraineté sur son propre plateau continental et la sacralité de son domaine maritime, puisque le gouvernement a déclaré ces îles "territoires sacrés". A noter que Taïwan est dans la même situation de fier-à-bras, incapable de maintenir un flotte de pêche sur zone, mais capable de narguer le grand frère communiste.



Les îles nationalistes de la provocation

La Chine vient de lancer son premier porte-avions, le Liaoning. Il lui reste à l'armer d'avions, ce qui n'est pas prévu avant longtemps, sans catapultes. La cérémonie, trop grandiose pour une coque d'entraînement à la pratique aéronavale, a précédé celles du Premier Octobre, fête nationale. Or si la valeureuse République populaire est aujourd'hui soupçonnée d'incapacité à récupérer son droit à quelques 250 milles de ses côtes, elle maintient soigneusement dans l'ombre l'outrage d'une occupation de deux groupes d'îles continentales par la République de Chine (Formose) qu'elle n'est parvenue jusqu'ici à faire cesser, même après des campagnes de pilonnage par l'artillerie de Mao Tsé Toung. Ces deux groupes d'îles les voici :

I.- KENMEN (QUEMOY)

Petit archipel de trois îles à seulement quelques kilomètres du port de Xiamen (Fouxien). Grande Quemoy, Petite Quemoy et Dadan.


Grande Quemoy est une île de 153 km² qui abrite 85000 habitants de Chine nationaliste qui parlent le amoy (originaires du Fouxien).
Petite Quemoy, à son ouest, fait 30km² et porte 8000 habitants, dans l'embouchure même du fleuve Jiulong. Il est projeté de faire un pont entre Grande et petite Quemoy avec une arche unique de 1400m.
Dadan, seulement 1km², est le centre d'un petit archipel en plein dans l'axe du port de Xiamen. Son phare a été rasé par l'artillerie communiste (quelle insulte de voir la lumière de Tchang Kaï-chek depuis sa cuisine !), mais deux temples subsistent ainsi qu'une inscription monumentale vantant les trois principes de Sun Yat-sen : Mínzú, Mínquán, Mínsheng¹.

Le chef-lieu du comté, Jincheng est une ville très développée comme nous le montre la photo ci-dessous :



Quand les indépendantistes gagnèrent les élections à Taïwan, Chen Shui-bian, leur président, avait décidé de larguer les îles continentales dans la négociation sino-chinoise, ce qui avait fait hurler leurs habitants qui ne voulaient à aucun prix devenir "communistes".
L'économie de l'archipel est basée sur le tourisme qui va maintenant se développer avec l'ouverture des frontières. Il est fortement question d'ouvrir des casinos à Kenmen et Matsu pour faire des petits Macao, mais ils sont combattus à Taïwan par les ligues morales et mal vus du gouvernorat du Fouxien continental. Mais les Américains de Las Vegas sont derrière et beaucoup de dollars avec eux.

II. MATSU

A 150 milles nautiques au nord-est de Kenmen, le groupe de Matsu est constitué de cinq îles et de plus d'une dizaine d'îlots qui dessinent un arc au large de la côte, face à la capitale provinciale de Fuzhou. Les îles de ce groupe sont plus petites que celles de Quemoy mais totalisent quand même une superficie de presque 30 km². Dix mille personnes y vivent et parlent le fuzhou. Ce groupe insulaire dispose d'aéroports sur l'île de Nangan et l'île de Baigan, la plus proche du continent. La carte ci-dessous montre l'étirement de ce groupe.


Matsu est aussi le nom révéré de la Déesse de la mer dans toute la Chine méridionale et au Tonkin.


III. WUQIU

Les deux îles sont plus distantes de la côte que les deux autres groupes. Elles abritent quatre cents nationalistes venus du continent. Le point remarquable est le vieux phare impérial de 1874 qui a été réactivé en 2017 pour baliser le trafic marchand dans le détroit de Formose qui s'avère dangereux dix mois sur douze. Il marque aussi les atterrages sur Quemoy en venant du nord de la grande île (clic).




Le scandale stratégique

Les raisons du scandale viennent de loin. Le reflux des armées de Tchang Kaï-chek avait été entamé en 1949 vers Formose, colonie japonaise fraîchement libérée, dans l'optique de refaire des forces pour débarquer à nouveau. Les huit îles au large du Fouxien étaient autant de points de lancement de l'offensive nationaliste. En 1958 la Chine communiste ouvrit les hostilités sur Quemoy par son artillerie en bombardant les positions nationalistes pendant 44 jours, mais la garnison bien protégée ne céda pas et John Foster Dulles fit sortir la VII° Flotte US de ses bases d'Okinawa pour contrer une opération amphibie. On était à l'époque de la consommation sans frein de bataillons automatiques, tactique peu adaptée aux spécificités du combat amphibie. La radio communiste annonça l'imminence d'un débarquement dès lors que le blocus était bouclé, ce qui signalait à l'état-major qu'ils ne feraient rien car ce genre d'opération n'est pas téléphoné.
Les choses en restèrent là pendant cinquante ans avec des pics de crise tenant plus de l'hystérie que de la stratégie, réaction typique des régimes honteux.

L'apaisement par les affaires

Le retour au pouvoir du Kuomintang à Taïpei en mai 2008 a rouvert une collaboration de connivence entre l'île nationaliste et le continent. Le projet dans les cartons de chaque bord est bien de faire à terme une mer intérieure chinoise du Détroit de Taïwan. A cet effet, les liaisons commerciales et touristiques ont été progressivement ouvertes, ces dernières sous quota pour éviter le surbooking des hôtels de Taïwan tant la pression de la curiosité est forte chez les continentaux, et comme nous l'indique le bulletin de Taïwan-Info ci dessous, le nettoyage des plages insulaires est en voie d'achèvement :

AFP - Mardi 19 juin 2012
Les dernières mines qui restaient en place pour défendre les positions militaires dans les archipels de Kinmen et Matsu auront toutes été retirées avant la fin 2012, a assuré Ma Ying-jeou, le président de la République, alors qu’il recevait hier le prince Mired bin Raad Al-Hussein de Jordanie, envoyé spécial de la Convention des Nations unies sur l’interdiction des mines antipersonnel ou Convention d’Ottawa (fin du communiqué AFP).

La campagne de déminage démarrée il y a six ans sera en effet achevée six mois plus tôt que prévu, selon le ministère de la Défense. Les mines antipersonnel étaient naguère un élément important des dispositifs anti-débarquement dans ces archipels proches des côtes chinoises du Fujian, notamment dans les années 50. La baisse des tensions dans les années 80 puis la détente de ces dernières années, en particulier depuis 2008, ont incité Taipei à mettre un terme à leur utilisation. Kinmen et Matsu s’inscrivent aujourd’hui dans une stratégie radicalement différente de développement des échanges économiques et touristiques entre les deux rives.

Dans l'affaire des Senkaku, Taïpei est un allié utile pour Pékin parce qu'il est sur zone, mais le pouvoir communiste ne peut pas sous-traiter sa souveraineté à la Chine nationaliste, son opinion ne comprendrait pas. Pourtant, vu les excellents rapports qu'entretiennent jusqu'ici Tokyo et Taïpei, un partage par moitié de l'arc des Senkaku serait la voie de la sagesse. Les îles de la discorde ne sont qu'à 76 milles nautiques du phare de Pengjia (Agincourt).

L'impact sur la transition

Cette dispute insoluble en l'état pourrit la succession politique déjà difficile dans les allées de Zhongnanhaï². L'impétrant désigné a disparu pendant dix jours dans le plus pur style des étranglements ottomans pour ne réapparaître que lorsque le clan Bo Xi-laï (Chongqing) s'est avéré vaincu, matériellement et idéologiquement.

Tout laisse à penser que, pour ne pas mouiller son successeur dans cet imbroglio maritime où la mauvaise foi le dispute à la paléo-mythologie impériale, le président sortant Hu Jintao gardera quelques temps encore la haute main sur les affaires militaires en conservant la présidence de la Commission militaire centrale après avoir remis celle de la République, comme l'avait fait Jiang Zemin en 2003 pour 18 mois. Le nouveau président Xi Jinping conserverait sa vice-présidence de la CMC le temps nécessaire à l'ouverture de négociations entre la Chine et le Japon, la Corée du Sud y étant sans doute invitée pour un différend de même nature.

Note (1): Conscience nationale, Peuple souverain, Bien-être populaire
Note (2): Cité administrative du gouvernement de Pékin


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