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Refaire l'empire et le Csar

 


Les élections "forcées" à la Douma russe l'ont-elles été trop ? L'agitation dans les deux villes capitales ne peut être dénoncée au motif d'une ingérence insupportable du Département d'Etat américain. Les urnes ci et là pleines au tiers à l'ouverture du scrutin, les scores amindadesques de Tchétchénie, les dépouillements scabreux constatés par l'OSCE, tout montre que le pouvoir en place n'a laissé aucun choix. Le dessein politique qu'il met en oeuvre est celui de la grande Russie revenue, et ce travail ne souffre aucune respiration démocratique. On peut le comprendre mais il y a la manière.
C'est de géopolitique qu'il s'agit. Le grand défi qu'affronte les Russes vient toujours et encore de l'Orient. Les Chinois reconstituent leur empire avec méthode pour largement dominer leur zone d'empreinte et dans ce but faire face aux ingérences américaines directes, doublées d'une ceinture d'alliances de permanence (Japon, Corée du Sud, Taïwan) et de circonstances (Philippines, Vietnam) qui visent toutes à contenir le nouveau géant. Les désordres de la société chinoise anticipés par le Parti communiste chinois exigent d'être à l'abri pour les traiter. Si la posture hégémonique se joue en Mer de Chine méridionale par le déploiement d'une escadre de plus en plus agressive, l'avenir industriel chinois est sur ses marges septentrionales qui regorgent de ressources minières indispensables à sa production.
C'est ainsi que la pression est forte au Turkestan chinois (Xinkiang) pour les hydrocarbures et le passage d'oléoducs kazakhes, sur la Mongolie extérieure qui est envahie en surface par les investisseurs et commerçants Han dans le but de sécuriser un sous-sol devenu extraordinairement prometteur (cuivre, or et tungstène), et sur la corne de l'Amour où il reste des terres riches en mines à reprendre après le dépeçage consécutif aux traités inégaux (Aïgoun 1858). C'est ce secteur qui inquiète le Kremlin, d'autant plus que sa zone pacifique est mise en pression par le Japon sur les îles Kouriles.

Les relations sino-russes sont un cas d'école. Elles sont régies par des traités territoriaux signés de 1991 à 2004 comme bases de pacification préalable à une coopération économique et une coopération stratégique indissociables. Les termes des traités n'ont aucune importance, les deux Etats n'ayant pas la même conception que nous des effets juridiques subséquents, un traité oriental constate un accord au jour de sa signature mais ne présage pas de l'avenir. C'est une notion très courante en Chine dans les relations commerciales et industrielles - la sincérité du moment - mais aussi en Russie où l'on voit l'Etat défaire les accords privés économiques à tout motif contingent comme le ferait un satrape ! Le démontage le plus célèbre fut celui de Ioukos ; un autre étonna beaucoup la British Petroleum.

Au contact de la République populaire de Chine, le kraïs russe de Primorsky (Vladivostok), l'oblast de l'Amour (Blagoveshchensk) et le nouveau kraïs de Zabaykalye (Chita) subissent la pression économique et démographique de la province industrielle du Heilongjiang (Harbin) qui avec plus de 38 millions d'habitants et une densité de 80h/km² surpasse ces voisins russes d'un coefficient 12 ! Inutile d'ajouter que l'inlassable activité de l'ethnie Han qui confine à la névrose laisse peu de chances aux Sibériens issus de la paresse soviétique. A tel point que la municipalité de Vladivostok avait projeté de donner à bail la zone portuaire aux Chinois de Mandchourie pour qu'ils la développent.


Malgré la connivence stratégique face au Japon et aux Etats-Unis déployés en Corée du sud, Moscou a très bien saisi le risque de phagocytage de sa frontière orientale et au-delà des proclamations patriotiques - la municipalité de Vladivostok a été blâmée - les Kgébistes du Kremplin n'ont d'autre choix que de se placer sur un vecteur de puissance économique et militaire. C'est le motif du coup d'Etat légal que constitue les élections législatives. Vladimir Poutine a maintenant douze ans pour faire aboutir son programme et entrer dans la grande Histoire.

Un atout de poids dans le jeu russe est l'Allemagne, réunifiée aux trois-quarts. Le partenariat économique est rentable et plonge ses racines dans une longue histoire de tutorat que nous faisons semblant d'ignorer ici. Cette alliance de fait rend inutile une alliance de revers que constituerait un partenariat stratégique avec la France, partenariat promu par une partie de l'Extrême-droite française qui a simplement oublié de poser la question aux dirigeants russes, loin d'être demandeurs. Ils ont déjà eu le Secam ! L'ouest étant ainsi dégagé par le nouveau "pacte", le Kremlin a tout loisir de muscler la Fédération de Russie sans écouter les rodomontades atlantiques de ses anciens protectorats polonais, slovaques et hongrois, et de garder une posture menaçante sur tout le Caucase et l'Ukraine. Ce n'est pas une hypothétique agitation du département américain qui fera bouger les lignes, sauf à déclencher la foudre comme l'a subie à l'extérieur la Géorgie présomptueuse et à l'intérieur la Tchétchénie mafieuse.
A quand le couronnement du petit-fils du "goûteur" de Staline ?








PS : Très beau site taïwanais sur les frontières septentrionales de l'Empire Tsing en cliquant ici.
On lira aussi avec profit l'étude de la dispute sino-soviétique de Robinson publiée dans The American Political Science Review.

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